Yannick Jadot : « La crédibilité de Macron sur
« L'écologie, il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui la font », martèle la tête de liste d'Europe Ecologie Les Verts aux élections européennes. Son projet social pour l'Europe passe notamment par l'institution d'un salaire minimum garanti. Il prône l'adoption, via un référendum européen, d'un traité supérieur qui place le climat et la biodiversité comme loi fondamentale.
Vous qualifiez les européennes de « vote du siècle ». N'est-ce pas excessif ?
Depuis les dernières élections européennes, on a eu le Brexit, Salvini, la guerre en Syrie et les réfugiés. L'extrême-droite est en train de s'emparer de l'Europe pour la disloquer. Les alarmes climatiques sonnent comme elles n'ont jamais sonné. Alors, oui, je crois que c'est le vote du siècle. Si on n'utilise pas ces cinq ans pour engager fermement l'Europe sur le climat, l'investissement, la solidarité et la défense de nos libertés, nous allons dans le mur. Il est incompréhensible que tant de partis fassent de ces européennes un simple scrutin intermédiaire entre deux présidentielles. Déserter le combat européen à un moment d'une telle gravité, c'est tout simplement coupable.
Presque toutes les listes disent faire de l'écologie une priorité. Pourquoi voter EELV ?
Le seul vote efficace, utile, pour la protection de l'environnement, c'est le vote écologiste. L'écologie, il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui la font. Pour certains, l'écologie est d'abord une mode, un prétexte, une promesse. Quand il fait une conférence de presse pour agir, Emmanuel Macron ne parle pas d'écologie. Quand il fait une conférence de presse pour promettre, il en fait des tonnes. Avec cette majorité comme sous François Hollande, l'écologie s'est toujours arrêtée là où commence l'intérêt des lobbies. La tête de liste En marche agite d'une main un pot de piment d'Espelette avec une appellation protégée mais signe, de son autre main, tous les accords de libre-échange, y compris ceux qui participent de la mondialisation de la malbouffe, de la souffrance animale, de la disparition des agricultures de terroir. Le numéro quatre de la liste [Jérémy Decerle, le président des jeunes agriculteurs, NDLR] est un ferment partisan du glyphosate et de Monsanto.
LREM propose 1.000 milliards d'euros pour la transition écologique. Vous y croyez ?
Malheureusement, la crédibilité de ce gouvernement sur l'écologie est nulle. Dès qu'il s'agit d'action, la majorité est dans le renoncement. Emmanuel Macron renvoie au niveau européen ce qu'il n'a pas le courage de faire sur la scène nationale. Moi, quand je propose un plan d'investissement sur la transition énergétique de 100 milliards par an de prêts BEI garantis ou rachetés par la BCE, je peux regarder mes électeurs droit dans les yeux.
Cela condamne-t-il, dans la future assemblée, toute convergence de vote avec LREM ou le PS ?
Non bien sûr. Il peut y en avoir avec tous les groupes sauf l'extrême droite s'il s'agit de sortir l'Europe des pesticides ou de la mettre sur une trajectoire d'un réchauffement maximal de 1,5 degré. Pour être majoritaire au Parlement européen il faut convaincre d'autres parlementaires. Mais pour avoir la force d'aller convaincre ailleurs, il faut un groupe. Sur l'environnement, la santé et les libertés, le groupe Vert a toujours été au coeur de toutes les avancées.
Vous présentez ce mercredi votre proposition de traité environnemental pour l'Europe. De quoi s'agit-il ?
L'idée est d'adopter, par un référendum européen, un traité supérieur qui place le climat et la biodiversité comme loi fondamentale. Toute décision européenne deviendrait subordonnée à cet objectif. Et on y intègre la question de la responsabilité, donc de l'écocide - les atteintes à l'environnement - avec la création d'un parquet européen. L'Union européenne s'est construite sur l'idée de paix, sur une promesse de prospérité. Aujourd'hui, il nous faut retrouver le courage des pères fondateurs : le climat qui doit être le grand projet qui rassemble tous les Européens. C'est la matrice qui doit redéfinir notre économie, l'aménagement du territoire, le social. L'environnement doit être le levier de tout et, notamment, de la création d'emplois.
Vous prônez une économie régulée. Quel sens lui donnez-vous ?
C'est une économie qui n'a plus la primauté sur la société, mais qui est au service de la société, de l'environnement, des droits sociaux et des droits humains. Il s'agit de lutter contre le capitalisme financier, prédateur de l'environnement, des femmes et des hommes. Une économie régulée doit lutter contre les accords de libre-échange qui aujourd'hui placent les multinationales trop souvent au-dessus de notre souveraineté. C'est aussi un protectionnisme vert qui vise à imposer sur le marché européen les produits issus de pays qui ne respectent pas les mêmes normes ou les mêmes ambitions en matière d'environnement. C'est la taxe carbone aux frontières quand il s'agit de climat.
Cela passe-t-il par d'autres initiatives ?
C'est aussi l'idée, combattue par Emmanuel Macron, d'un « buy european act » sur les marchés publics, qui permet d'agir notamment en faveur de l'économie locale. L'interventionnisme vert doit aussi avoir des effets sociaux. Il faut interdire dans un délai de cinq ans l'accès au marché européen, des produits issus de pays qui ne respectent pas la liberté syndicale. Autre contrainte, les banques qui investissent dans des projets d'énergies fossiles doivent être obligées à y renoncer pour le climat. Des règles beaucoup plus strictes doivent leur être imposées pour être sûrs qu'elles financent les renouvelables et les économies d'énergie et pas les énergies fossiles. Nous voulons sortir des pesticides dans 15 ans. Les 9 milliards d'euros d'argent public touché chaque année par la France au titre de la politique agricole commune doivent servir à cela.
Quel est votre projet social ?
Notre pacte de soutenabilité sociale vise un salaire minimum garanti dans tous les pays à 60 % au moins du revenu médian. Notre objectif est de parvenir à une durée maximale du temps de travail en Europe et à intégrer des critères de convergence au niveau social, notamment sur la pénibilité, sur l'exposition aux risques professionnels, la création d'un statut des aidants. L'Europe doit acquérir une visibilité sociale. Nous voulons aussi que l'Europe se dote d'un système d'assurance sociale et environnementale. Une sorte de « Sécu de l'environnement » dotée de deux fonds, l'un pour couvrir certains risques environnementaux, notamment ceux liées aux pesticides, aux pollutions ou aux aléas climatiques, l'autre pour garantir un revenu à tous ceux qui, professionnellement, veulent évoluer vers la transition écologique.
Les sondages vous placent loin des 15 % que vous visez. Comment l'expliquez-vous ?
Aujourd'hui, on est encore dans la confusion et les usurpations du discours écologiste. Il va falloir que ces huit ou dix derniers jours soient un moment de clarification. Quand vous considérez que ce qui se joue dans les années à venir tient pour partie à la survie de l'humanité à cause du chaos climatique et de la sixième extinction, il est clair que nous devons être la première force politique. En 2009, nous avons fait 16 % alors que nous étions à 8 % la semaine d'avant. J'espère capitaliser sur nos solutions, l'enthousiasme que nous portons autour d'un projet européen renouvelé et sur le caractère socialement prometteur de la transition écologique. Je garde donc l'objectif des 15 %.
Au lieu de refuser toute union à gauche, n'aurait-il pas fallu entraîner les autres partis ?
Je ne justifie pas le vote écologiste par l'antériorité. Nous voulons emmener toute la société vers la transition écologique. Celui qui est convaincu depuis une heure que l'Europe est l'échelon pertinent pour la protection de l'environnement est le bienvenu. Mais je réclame la cohérence. Je ne vais pas faire une union de façade à Paris avec des gens qui vont ensuite siéger dans des groupes différents et auront des votes différents. Si vous votez socialiste le 26 mai, vous voterez sans doute pour des députés qui intégreront un groupe social-démocrate inféodé à la droite et qui a soutenu toutes les mesures d'austérité et les accords de libre-échange. Je le répète, le seul vote utile pour sauver l'Europe et le climat, c'est Europe Ecologie !
Joël Cossardeaux et Pierre-Alain Furbury