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Au secours Ségolène revient !
14 juin 2021

Raphaël Enthoven : "Mélenchon / Le Pen, le faux

Raphaël Enthoven : "Mélenchon / Le Pen, le faux dilemme entre deux dictateurs en puissance"

EXCLUSIF. Le philosophe a déclenché une vive polémique en déclarant qu'en cas de second tour entre les deux extrêmes, il opterait pour le RN. Il fait son mea culpa.

 

 

Pourquoi ai-je fait ça ? Pourquoi, alors qu'un tel dilemme n'a aucune chance d'arriver, me suis-je posé la question de savoir pour qui voter en cas de deuxième tour Le Pen / Mélenchon ? Et pourquoi, alors que le vote blanc et l'abstention demeurent possibles, me suis-je imposé de trancher cette alternative ? Peut-être est-ce le syndrome de l'Abbé de Villecourt qui, dans Ridicule, au faîte de son influence, pour un simple mot d'esprit, se tire tout seul une balle dans la tête ? Aucune importance. Ma faute est mon problème. 

Venons-en à mon erreur.  

Mon erreur est d'avoir juxtaposé un dilemme tragique (Mélenchon ou Le Pen ?) et une logique du moindre mal (plutôt une Peste, que l'autre). Or, ces deux régimes de pensée sont incompatibles : la terminologie du moindre mal est inopérante face à un dilemme de cette nature, et c'est le télescopage de ces deux façons de penser qui a provoqué des réactions violemment négatives chez des amis de bonne foi. Pour être fidèle aux termes de mon alternative (Peste ou Peste), il eût fallu NE PAS choisir. Car il n'y a pas de moindre mal, ici.  

Et puisque s'abstenir, c'est encore s'engager, concédons que, dans une telle situation, nous serions face au seul cas de figure où l'abstention est la meilleure façon de s'engager. Ça me fait mal de le dire, mais parfois, il vaut mieux s'abstenir. Refuser de donner son suffrage à deux dictateurs en puissance n'a rien à voir avec le fait de dire "élections, piège à cons". Il y a une grande différence entre les gens qui s'abstiennent et qui protestent ensuite, et les gens qui refusent de choisir entre la Peste et la Peste. Les premiers sont des enfants gâtés qui ne voteraient que pour eux-mêmes. Les seconds s'inscrivent, toute mesure gardée, dans le sillage de la mère à qui le nazi demande d'épargner un seul de ses deux enfants. Le propre d'une élection est de permettre un choix. Or, dans le cas d'un face-à-face Le Pen-Mélenchon, le choix est illusoire, et il n'est pas lâche mais courageux d'accepter l'aporie et de refuser le chantage. A l'inverse, dire, comme je l'ai fait, que les deux sont des dangers équivalents, pour ensuite tenter, quoi qu'il en coûte, de trouver l'infime raison qui fait quand même pencher la balance... Là est la vraie fuite, là est l'aveuglement. En y répondant, je n'ai pas affronté un problème ; j'ai fui un dilemme que j'aurais dû maintenir et creuser davantage. Ce n'est pas parce qu'on explore une impasse qu'on finit par en trouver la sortie. Mea culpa.  

"Le RN et LFI sont des jumeaux déguisés en antipodes"

Maintenant, deuxième question. Pourquoi est-ce une impasse ? Pourquoi est-il impossible de choisir entre ces deux antipodes-là? Entre le Sud et le Nord, on peut choisir. Entre Paris et l'OM, on peut choisir. Entre LREM et le RN, on peut choisir (il y a même, à mon sens, tous les éléments d'un choix réfléchi). Mais pourquoi est-il absolument impossible de choisir entre Rassemblement National et la France Insoumise ?  

Parce que ce ne sont pas des antipodes. Là est l'arnaque.  

Le Rassemblement National et la France Insoumise sont des jumeaux déguisés en antipodes.  

Leurs discours sont identiques (sur l'Europe, l'OTAN, la Syrie, la Russie, la "médiacratie", les retraites, les tchétchènes, les gilets jaunes et la plupart des dictateurs). Mais surtout : leurs manières sont identiques. Leurs rhétoriques se ressemblent comme deux gouttes de fiel : mêmes imputations sans preuves, même soutien à l'obscurantisme médical, complotisme à tous les étages et commune détestation de la République. Leurs histrions respectifs communient dans le sentiment démagogique que l'égalité des droits implique l'équivalence des savoirs, et que le régime de l'opinion peut légitimement, pour des raisons morales, se dresser contre les sachants et leurs chiffres. La seule différence entre ces deux carrefours haineux tient à la nature du racisme auquel ils souscrivent. Le Rassemblement National est un vieux parti raciste et corrompu, que sa corruption n'empêche pas de faire la morale au monde entier, et dont l'antique racisme est mal masqué par un républicanisme opportun. La France Insoumise, historiquement républicaine, s'est laissée dévorer de l'intérieur par le chancre indigène, au point de ranger Charlie Hebdo parmi les hebdomadaires d'extrême-droite, de défiler avec les frères musulmans, de confondre blasphème et racisme et de défendre la non-mixité. Des deux côtés, l'identitarisme prospère. Chaque fois qu'on valorise l'appartenance comme telle, on vend de la merde aux électeurs : l'indigénisme patriotique n'est pas moins abject que l'indigénisme décolonial.  

Diabolisation mutuelle

Troisième question. Pourquoi ces fiancés évidents, RN et LFI (appelons-les René et Elfy), sont-ils incapables de s'entendre ? Comment peut-on se plaire autant et ne pas coucher ensemble ? C'est presque shakespearien. Tels Béatrice et Benedict (héros de Beaucoup de bruit pour rien), René et Elfy croient sincèrement se haïr. Mais dans la comédie de Shakespeare, tant de haine vole en éclats quand l'amour dont elle est le paravent décide d'entrer en scène.  

En politique, c'est différent. Et il y a fort à parier qu'à cause de leurs squelettes respectifs, René et Elfy mettront des années avant de convoler. Qu'est-ce qui retient nos antipodes aimantées, malgré tant d'évidences, de reconnaître qu'elles pensent la même chose et qu'elles regardent dans la même direction ? Leurs histoires respectives (républicaine pour l'une, fasciste pour l'autre), et l'ombre portée de la haine que leurs familles se vouent. Résultat : tandis que leurs ténors se bagarrent, leurs militants, qui sont plus sages, tels des petits Roméo et Juliette, discutent discrètement et apprennent à se connaître. Life always finds a way.  

Conséquence : malgré cinq années d'un pouvoir honni par ses adversaires, aucune opposition n'est en situation d'émerger dans ce pays. Face à Emmanuel Macron se dressent des opposants nains, qui se détestent entre eux, et dont la plus grande (qui lui arrive à l'épaule) bénéficie, malgré sa nullité, du vote des gens qui, sans l'aimer, voient en elle (à juste titre) la seule qui, sur un malentendu, pourrait l'emporter. Au lieu de préempter le mécontentement pour lui donner une colonne vertébrale, René et Elfy sont trop occupés à préempter le peuple en le confondant avec leur clientèle. Au lieu de jouer leur rôle, de faire de la politique, d'attirer aux urnes les gens qui, sans eux, refuseraient de voter, ils suivent des mouvements qu'ils ne comprennent pas en espérant, au passage, gratter quelques voix. Au lieu de fournir un argumentaire et des idées à des gens qui rêvent de décapitation ou de coup d'état, ils jouent avec le feu et légitiment des discours séditieux. Au lieu de s'allier pour donner enfin le jour à quelque chose comme un choix alternatif, ils préfèrent se diaboliser mutuellement et se faire concurrence.  

S'ouvrir aux autres ou se refermer, la vraie alternative

Ainsi va l'époque. Dans un monde où le dialogue est banni et l'opinion toute-puissante, l'adversaire n'est pas un interlocuteur mais un rival et un marchepied dont la caricature permet d'affermir ses propres positions. C'est la raison pour laquelle, contredisant le mouvement-même de leurs militants, René et Elfy continueront longtemps, à leurs dépens, à se faire la gueule. Or, tant qu'ils ne s'entendront pas, tant qu'ils ne joueront pas leur rôle (indispensable) de voitures-balais de la haine, toute critique du gouvernement prendra la forme débridée d'une contestation des institutions elles-mêmes.  

L'affrontement LREM/RN n'est pas le fait d'une "confiscation du débat" (faut-il mépriser les gens et les croire influençables pour dire une sottise pareille) mais du choix, en conscience, des électeurs. Et ce choix des électeurs n'est pas un fait isolé, mais un fait mondial. Car dans un monde mondialisé, la question de savoir s'il faut être de droite ou de gauche a disparu sous la question de savoir s'il faut s'ouvrir aux autres ou se refermer sur son pré carré. Et c'est à cette nouvelle alternative qu'il faut répondre. Si Marine Le Pen arrive régulièrement en finale, ce n'est pas que les "idées d'extrême-droite" gagnent du terrain (ça, c'est ce que la gauche espère et qu'elle a intérêt à penser, parce que ça la soude à elle-même tout en lui permettant d'ajourner son propre examen de conscience), mais c'est que Marine Le Pen est la bénéficiaire d'un mécontentement disparate qui ne voit aucun autre ambassadeur consistant. Les indécis qui votent pour le RN faute de mieux méritent que leurs adversaires les écoutent, leur parlent et entendent leurs doléances au lieu de criminaliser a priori un vote par défaut. On ne peut pas à la fois accepter qu'un parti concoure aux élections, débattre avec ses représentants sur tous les plateaux, tout en lui faisant le cadeau de décréter qu'il est le Diable et que son vote est à jamais infâme.  

D'ailleurs - et pour finir -, à l'intention des militants du RN qui m'ont soudain trouvé mille gentilles qualités après ce dilemme cornélien et son épilogue : vous avez dit que j'étais "honnête homme", que "sans être en accord" avec moi, vous saluiez une forme de "rigueur intellectuelle" (ce sont vos mots). J'en prends acte et je vous en remercie d'autant plus que, dans ces propos salués par vous comme un exercice de "rigueur intellectuelle" et que, selon vous, "il faut lire", je présente Marine Le Pen comme notoirement incompétente, vindicative, obscurantiste, soumise aux oligarques, incapable de grandeur, championne du déni, sournoisement complotiste et ouvertement tentée par un coup d'Etat. Heureux, enchanté, que VOUS trouviez de la "rigueur intellectuelle" à cela. S'il vous plaît, discutons-en.  

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