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Au secours Ségolène revient !
27 août 2021

ENQUETE. Entre coups d'éclat et lobbying, plongée

ENQUETE. Entre coups d'éclat et lobbying, plongée dans les années Greenpeace de Yannick Jadot
 

Il est rare d'effectuer ses premiers jours de travail en combinaison orange isothermique, accroché à l'ancre d'un navire, au large du port de Sète. Surtout quand votre collègue de Zodiac, un activiste norvégien, vous hurle des recommandations qui résonnent davantage comme des consignes de survie que comme des messages de bienvenue. En ce mois de février 2002, sur une mer d'huile, le tout nouveau directeur des campagnes de Greenpeace France, Yannick Jadot, fait corps avec l'Agia Irene, un imposant navire de 6.300 tonnes à la longue coque rouge et à la cargaison de bois venue du Liberia. Banderoles à l'appui, les militants de Greenpeace dénoncent ces importations qui mènent à la destruction des forêts anciennes.

Les activistes ont réussi à stopper le cargo par surprise au petit matin. Quand il a appris ce coup d'éclat, Jadot s'est dépêché de gagner Sète. L'organisation écologiste est connue pour multiplier et maîtriser ce genre d'intervention. La situation semble donc sous contrôle. "Mais à un moment, on voit que le navire remonte son ancre, se souvient Jadot. Mon collègue me dit : 'Tu t'accroches et tu gueules à la gendarmerie maritime que tu te feras écrabouiller plutôt que de lâcher.' Donc, c'est ce que je fais… Et la gendarmerie est intervenue."

Une manifestation contre Jospin

Jadot n'avait pas particulièrement prévu d'être là. Il n'a d'ailleurs pas emporté d'affaires de rechange. À Paris, là où l'organisation non gouvernementale a ses quartiers, son bureau n'est pas encore installé. Il vient de quitter une petite ONG française, Solagral, pour en rejoindre une autre à la renommée internationale. Cette montée d'adrénaline hivernale dans l'Hérault, "c'était une façon d'entrer dans la fonction", rapporte Jadot. "On a enchaîné avec une manif où on avait amené des troncs d'arbre devant Matignon, se souvient-il. Il y avait Aure Atika et Lambert Wilson. Lionel Jospin ne voyait pas ça d'un bon œil."

Radicale dans ses actions, Greenpeace, un peu moins de vingt ans après, a fini par s'institutionnaliser. Un mouvement que Jadot a accompagné durant les six années passées là-bas. C'est cette mue, cet "en même temps" si difficile à tenir, qu'il voudrait opérer avec EELV. L'eurodéputé assume d'être passé du contre-pouvoir au pouvoir, à tel point qu'il brigue désormais la présidence de la République même s'il n'est pas encore sûr d'obtenir l'onction de son camp, certains ne le trouvant plus assez… radical, justement.

Trop "droitier". Un mot qui le hérisse. Devant les militants, dans les réunions Zoom, Jadot glisse toujours quelques mots sur ses années Greenpeace. Une expérience ponctuée de luttes et de rencontres décisives. Un poste exposé qui lui aura donné le goût de la lumière. Une époque loin d'être taboue mais qu'il ne transforme pas non plus en totem. Histoire, peut-être, de ne pas se laisser enfermer dans l'image de l'écologiste contestataire.

A Greenpeace, son embauche est un "changement dans la continuité"

Pour l'heure, Jadot a 34 ans et vient d'étrenner ses nouveaux habits de dirigeant de Greenpeace. Physiquement, sur les photos de l'époque, vous n'aurez aucun mal à le reconnaître. C'est un bloc de 1,91 mètre taillé dans sa Picardie natale, avec les joues un rien plus creuses, le cheveu un peu plus long et plus blond qu'aujourd'hui. Rejoindre Greenpeace, c'est, selon ses mots, rejoindre un "mythe", dont une affiche ornait le mur de sa chambre d'enfant.

Dans cette organisation pyramidale, Jadot n'a pas la fonction la plus exaltante. Son rôle est de coordonner les campagnes. Greenpeace en a toujours plusieurs sur le feu : OGM, océans, forêts, énergie, toxiques. "Les campagnes, c'est toujours un jeu de bras de fer : si vous commencez à mettre le doigt sur quelque chose qui a un ressort dans l'opinion publique, le pouvoir en place commence à s'y intéresser un peu plus, décrypte Bruno Rebelle, ancien directeur exécutif de Greenpeace France. Une campagne, c'est ça : créer de la tension pour forcer l'autre à réagir."

Son embauche ne marque pas une rupture, plutôt un "changement dans la continuité", comme aurait dit Georges Pompidou. Jusque-là, Jadot occupait donc le poste plus calme de délégué général de Solagral, l'association de Laurence Tubiana vouée à la solidarité agricole et alimentaire mondiale. Durant ces quelques années, Jadot participe aux contre-sommets de l'OMC où l'on affirme qu'"un autre monde est possible". Le jeune homme vit la période faste de l'altermondialisme et, inévitablement, il rencontre le pape de ce mouvement, un Français dont la moustache et la pipe deviendront iconiques, José Bové, alors porte-parole de la Confédération paysanne, dont il épouse quelques causes.

Mis en joue par la marine après s'être introduit sur la base militaire de l'île Longue

En travaillant chez Greenpeace, Jadot va vite apprendre qu'on ne touche pas impunément au nucléaire en France. Le combat contre l'atome est la lutte fondatrice de l'ONG comme de bien des écologistes. Il vaudra à Jadot l'un de ses souvenirs les plus épiques. Mai 2005, à bord de l'Arctic Sunrise, navire de 50 mètres, l'équipage de Greenpeace se dirige vers la base militaire de l'île Longue (Finistère). Il y a là-bas "288 têtes nucléaires, c'est 2.000 fois la capacité de destruction de Hiroshima à 10 kilomètres à vol d'oiseau de Brest", résume Jadot lorsqu'un micro se tend.

Base militaire de l'île Longue, ici Arctic Sunrise ; nous avons l'intention d'entrer dans la base militaire

 Le bateau à la coque verte est rapidement survolé par un hélicoptère pendant qu'un Zodiac s'en approche. Le téléphone de bord à l'oreille, Jadot tente une approche qu'il sait pertinemment vouée à l'échec : "Base militaire de l'île Longue, ici Arctic Sunrise ; nous avons l'intention d'entrer dans la base militaire pour une mission d'inspection citoyenne. La France est en train de violer le traité de non-­prolifération en développant de nouvelles armes nucléaires ; nous souhaitons donc pouvoir contrôler."

À ses côtés, Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire, prend le relais. Cette scène et celles qui suivent sont immortalisées par Éric Guéret dans son documentaire Greenpeace - Opération plutonium. On y voit deux imposants remorqueurs de la Marine nationale bloquer l'Arctic Sunrise, puis Jadot monter avec deux camarades de Greenpeace sur un Zodiac. Et les voilà qui se livrent à une course-poursuite avec un autre canot pneumatique manifestement plus puissant et bourré de commandos marine lourdement équipés. Après être entrés dans la zone interdite entourant la base, les membres de Greenpeace sont stoppés. "C'était dangereux, c'était à la limite, estime Jeannot Reverbel, dirigeant le service actions de l'association et alors opposé à cette initiative. Les deux Yannick voulaient en découdre, ils voulaient une confrontation."

"Jadot est arrêté par des commandos marine qui le mettent en joue", se souvient Rousselet. Pour cette virée aquatique, il écopera de deux mois d'emprisonnement avec sursis et de 2.000 euros d'amende. Parmi les motifs, "atteinte aux intérêts supérieurs de la nation".

EDF et "les barbouzes"

Dénoncer ce fleuron français lui jouera encore des tours, mais cette fois-ci Yannick Jadot sera partie civile : son ordinateur a été piraté par une officine travaillant pour EDF. L'entreprise française et "les barbouzes", comme dit Jadot, sont condamnés en première instance, mais en appel EDF est relaxée. "Alors que la copie de son disque dur était dans le coffre d'EDF", s'étonne encore son avocat, Alexandre Faro.

 

Dans les années 2000, Greenpeace s'est institutionnalisée, Jadot y a contribué en tirant l'association vers le haut en matière de légitimité

 

L'île Longue sera sa seule condamnation. Elle vient presque à contretemps dans l'histoire de Greenpeace. Quand Jadot embrasse sa nouvelle vie, l'association, sous l'impulsion de son directeur exécutif Bruno Rebelle, a amorcé un virage. Celui de la professionnalisation et d'une croissance exponentielle. La contestation cède du terrain à la négociation. "Dans les années 2000, Greenpeace s'est institutionnalisée, Jadot y a contribué en tirant l'association vers le haut en matière de légitimité", relève Katia Kanas, fondatrice avec quelques amis en 1977 du bureau France de Greenpeace, dont le siège était une usine désaffectée et glaciale.

Avec le WWF, Greenpeace est l'une des plus importantes ONG environnementales françaises. L'association recrute des ingénieurs et met au point un système très professionnel de collecte de fonds. "Quand j'ai pris la direction de Greenpeace en 1996, nous ne pesions pas grand-chose et nous avions du mal à parler aux autorités politiques", se souvient Rebelle. En quelques années, l'association passe de 6 à 46 salariés. Avec son diplôme d'économie à l'université Paris Dauphine, Jadot se coule parfaitement dans ce nouveau Greenpeace qui s'éloigne des hippies nord-américains aux épaisses chemises à carreaux qui lancèrent le mouvement au Canada, au début des années 1970, en embarquant sur un vieux bateau à voile, le Phyllis Cormack, pour tenter d'empêcher un essai nucléaire.

Des coups d'éclat qui assurent la renommée de Greenpeace

Décembre 2005. Noël n'est pas encore passé mais Greenpeace a tout de même décidé de s'offrir un cadeau. Quelques activistes se rendent en rade de Toulon. Le panonceau "Zone militaire, interdiction de pénétrer sans autorisation" ne semble pas les retenir. En paramoteur ou en Zodiac, les écologistes atteignent le Clemenceau. "Pas d'amiante, ni ici ni ailleurs", lit-on sur les banderoles jaunes prestement déployées. Le porte-avions désarmé doit être désossé en Inde, sur le chantier d'Alang. La France jure que 90% de l'amiante a été enlevé. Pour Greenpeace, ce n'est rien de moins qu'un "mensonge d'État".

Yannick Jadot décide de cibler Michèle Alliot-Marie et "l'autisme qui prévaut au ministère de la Défense". Mi-janvier 2006, à l'entrée du canal du Suez, deux militants de Greenpeace réussissent à monter à bord de l'ancien fleuron de la marine française. En février, le Conseil d'État suspend le transfert du Clemenceau en Inde. Immédiatement, Jacques Chirac ordonne son rapatriement en France. Le chef de l'État est bientôt attendu à Delhi, rien ne doit venir parasiter sa visite officielle. Jadot a les honneurs du 20 Heures.

 Dans la culture de Greenpeace, la confrontation non violente fait partie de notre ADN

 De son côté, auditionnée par des députés, Alliot-Marie finit par lâcher ses coups contre Greenpeace, accusée de "dénigrer les choix de la France" et de "solder ses comptes avec la Défense", dit-elle dans une allusion à l'affaire du Rainbow Warrior (le sabotage du navire amiral de l'ONG par les services secrets français en 1985 dans le port d'Auckland, qui fit un mort).

Des activistes nichés en haut des mâts, neuf tonnes de maïs "sans OGM" déversées devant le siège de l'UMP, 100 têtes de thon rouge amassées devant un ministère, un drone lancé contre une centrale nucléaire pour pointer des problèmes de sécurité… Depuis sa création, Greenpeace cultive cet art de l'action coup de poing que ses membres appellent "action non violente directe". Même si cela ne représente que 10% de leurs activités et s'il existe à côté un intense travail de lobbying, ce sont ces coups d'éclat qui ont assuré la renommée de Greenpeace. François Chartier, chargé des campagnes océans, se souvient d'un Jadot en parfaite osmose avec ces pratiques. "Dans la culture de Greenpeace, note-t‑il, la confrontation non violente fait partie de notre ADN. C'est une organisation tournée vers l'action, vers le terrain. Même quand on est salarié et directeur, il important de ne pas rester dans son bureau."

 

La société veut du spectacle? Jadot et ses compagnons lui en donnent

 Jadot se doit donc d'être formé à ces techniques. "Savoir grimper et mettre une banderole sur une grue ou un pont, ça s'apprend ; conduire un Zodiac, ne pas mettre la banderole plein vent, savoir la disposer pour le photographe pour qu'elle ne soit pas à contre-jour, ça s'apprend aussi", énumère Jeannot Reverbel, ancien moniteur de spéléologie et d'escalade, à la tête du "service actions" lors de l'arrivée de Jadot. Reverbel donne des formations dans les locaux de Greenpeace, mais ceux-ci ne sont pas toujours adaptés à la gymnastique particulière des "actions non violentes directes". Alors, avec ses élèves, il prend parfois la poudre d'escampette. "Il nous arrivait d'aller bloquer le chantier d'à côté, munis de fausses caméras, en nous mettant d'accord avec le chef de chantier", se souvient-il. Jadot et ses compagnons scénarisent les campagnes et les actions. Certains en parlent comme de véritables séries télé. La société veut du spectacle? Ils lui en donnent.

Des critiques contre Jadot et le "vedettariat"

Certains, au sein de l'association comme à l'extérieur, trouvent que Jadot se délecte d'ailleurs un peu trop des feux des projecteurs. C'est un des reproches qu'a pu lui faire Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste et ancienne éphémère patronne de Jadot à Greenpeace. Les écologistes, depuis leur création, n'aiment pas le "vedettariat". Ancien homme de télévision et ex-candidat des Verts à la présidentielle, Noël Mamère le défend. "Jadot ne déteste pas les médias, il est plutôt à l'aise. Dans ma bouche, ce n'est pas une critique… L'art de Greenpeace, c'est d'expliquer leur action, de ne jamais en rester au spectacle. Ce sont des as de la pédagogie militante."

Août 2006. Le Rainbow Warrior II doit entrer dans le Vieux-Port de Marseille pour y mener une action de prévention contre la surpêche. La "pédagogie militante" qui aurait dû rester locale va se transformer en sujet national. Mourad Kahoul, président du syndicat des pêcheurs de thon rouge de Méditerranée, s'est juré d'entraver les plans de l'ONG. Sous ses ordres, une trentaine de bateaux se dirigent vers celui de Greenpeace. Kahoul ne parle pas, il bout, il vitupère. Les militants de Greenpeace? "Ces gens-là, il faudrait les pendre, comme les poulpes en Espagne, et leur mettre du sel", lance-t‑il devant la caméra de Strip-Tease, qui immortalisera le tout dans le documentaire Guerre et thon.

L'ambiance est électrique. "Les thoniers étaient chauds, ils sont montés à bord et, à la disqueuse, ils ont essayé de couper l'ancre pour pouvoir nous remorquer, se remémore François Chartier. C'était une vraie bataille navale." Jadot choisit de politiser et de médiatiser l'affaire. "Les thoniers ont organisé un tel battage qu'ils ont été nos agents de com les plus efficaces", sourit-il encore aujourd'hui.

En 2007, Jadot veut mettre un pied en politique

Alors que le quinquennat de Jacques Chirac touche à sa fin, Jadot en est persuadé, quelque chose se passe. Al Gore vient de recevoir le prix Nobel de la paix pour son engagement écologiste, et le rapport sur le changement climatique de l'économiste anglais Nicholas Stern connaît un retentissement mondial. "L'écologie devient alors un objet politique", conclut-il. En 2007, il s'en va trouver Noël Mamère. "Nous avons déjeuné à l'Assemblée, il m'a dit : 'Si tu es candidat, j'aimerais bien être ton directeur de campagne.'" Mais Mamère n'a pas été candidat. L'idée de mettre un pied en politique ne quitte pas pour autant Jadot.

En attendant, avec d'autres ONG, il pousse pour un Grenelle de l'environnement. À la surprise générale, une fois à l'Élysée, Nicolas Sarkozy reprend l'idée. Les Verts crient à une vaste "opération d'enfumage sarkozyenne", selon les mots de leur secrétaire nationale, Cécile Duflot, qui pointe "la nature profondément antiécolo" du gouvernement de François Fillon.

 Cela ne rebute pas Yannick Jadot. Le voilà qui négocie avec le ministre de l'Écologie, Jean-Louis Borloo. A priori, deux mondes hermétiques l'un à l'autre. "Nous négocions pied à pied, Jadot avait des convictions mais il était accessible au raisonnement, souligne Borloo. Chaque fois que l'argument que je défendais était valable, on parvenait à un deal." Aujourd'hui encore, les deux hommes se parlent régulièrement et "franchement", selon l'ancien ministre. Qui poursuit : "Ces mois de réunions ont créé une sorte de fratrie qui a perduré."

Jadot a gardé "la même radicalité sur les transformations à engager"

 

Alors que le Grenelle s'achève, Jadot regarde une autre fratrie : les Verts. Il a rencontré Daniel Cohn-Bendit et se dit prêt à partir aux européennes de 2009 avec lui. Les Verts finiront par se greffer à l'aventure. Jadot est élu. Puis réélu. Que reste-t‑il de ses années Greenpeace? Certains trouvent que, 2022 approchant, il a mis beaucoup d'eau dans son Vert. "Le garçon est insaisissable, il n'est pas constitué d'un bloc et le sillon qu'il trace n'est pas toujours très droit", pense un écolo qui le connaît bien.

Réponse de l'intéressé : "J'ai pris de l'expérience, mais j'ai la même radicalité sur les transformations à engager. Se donner les moyens d'agir, c'est aussi ça, la nouvelle radicalité." En 2022, Jadot aimerait de nouveau diriger une campagne : la sienne. Et cette fois-ci, plus policée, elle ne se ferait pas sous le signe du Zodiac.

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